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Etude de cas - Musicothérapie et autisme - IME

Ma rencontre avec K. compte parmi les plus marquantes.

Les seules indications sur son profil m’avaient été délivrées par la psychologue lors d’un unique entretien préalable à mes interventions. Je savais seulement qu’il était âgé de 15 ans, qu’il ne parlait pas et présentait une inhibition prononcée. Il était initialement prévu que je reçoive K. en groupe avec deux autres jeunes. C’est donc ainsi que se sont déroulées les deux premières séances de 40min environ.


Les débuts en groupe

Mon instrumentarium est dense dans un premier temps et me sert d’appui pour la prise de contact et l’évaluation des potentialités de chacun. Les deux camarades de K. sont relativement agités. Je les laisse choisir un instrument mais K. reste debout, droit, statique, inexpressif. Je lui propose un œuf maracas dont il se saisit et qu’il ne quitte plus de la séance. Peu à peu, je perçois quelques échanges de regard, une esquisse de sourire et la possibilité d’exprimer son refus par un mouvement de la tête. La présence des deux autres enfants m'apparaît alors comme un frein à sa prise en charge et un renforçateur de son inhibition mais je persiste sur la semaine d’après.

Ils ne sont que deux cette fois, cela me laisse un espoir d’accompagner de manière plus personnalisée K., tout en faisant en sorte de l’intégrer au groupe. Il accepte le toucher avec les balles sensorielles et donne quelques indications de la tête mais reste mutique durant toute la séance.

La notion de groupe dans les TSA est très complexe. Pour parvenir à un état groupal comme nous l’entendons habituellement, chaque individu doit pouvoir avoir conscience de lui-même et d’autrui, ce qui n’est pas le cas avec une frange importante de cette population.

C’est ce que je cherche à travailler ici, une communication allant de soi à l’autre, du dedans au dehors.


Les séances individuelles

La troisième séance, je retrouve K. seul. Ce n’était pas prévu mais les deux autres étaient absents. Il se place au même endroit que précédemment, près d’un mur et d’un paravent. Je lui fais écouter différents instruments : ukulélé, guiro, triangle, tambour océan, djembé et claves. Il sourit beaucoup mais n’en saisit aucun. Il fixe le tambour océan puis m’écoute chanter son prénom au rythme du djembé, un large sourire aux lèvres.

Je propose ensuite une écoute sur la mini enceinte portative. C’est une musique arménienne au duduk. Après un bref moment, je m’approche de lui et tend une main dans sa direction. Il approche la sienne, plus près que les fois précédentes, mais elles ne se touchent pas. Il réitère cela 4 fois. Je me place alors dos à lui, en symétrie, afin de ne pas l’envahir sensoriellement par le regard. Ses mains entrent en contact avec les miennes par des effleurements à son initiative. La séance se termine au son du duduk, toujours dans la même position que j’imite.

Il semble plus apaisé et prêt à s’ouvrir dans la relation duelle. Je propose à l’équipe éducative de le prendre en fin de journée, seul. Ma proposition est validée immédiatement, l’équipe étant totalement démunie dans la prise en charge de K.

À ce stade, je me penche davantage sur le dossier administratif de K. Je vois qu’il est accueilli à l’IME depuis l’âge de 4 ans. Son éducatrice référente me confie également qu’il était moins mutique avant, que l’angoisse et l’anxiété l’envahissent de plus en plus. Elle m’explique qu’il comprend bien l’oralité si l’on utilise des mots simples et qu’il a besoin qu’on l’aide à donner du sens aux choses. Cela affine mes objectifs thérapeutiques à son égard.


L’alliance thérapeutique

La mise en place de séances individuelles pour K. a permis une mise en confiance plus importante. Durant le mois de février, K. reste mutique et figé dans la même posture mais il montre moins de signes d’anxiété.Il sourit toujours largement quand je chante son prénom, semble apprécier les mélodies que je produis sur les différents instruments mais n’ose encore pas s’en saisir. Il hoche la tête quand je lui demande s’il se sent bien ici et éprouve de plus en plus de difficultés à sortir de la pièce en fin de séance. Je dois demander l’aide d’un éducateur sans quoi il refuse catégoriquement de retourner sur son groupe.

En mars, après les vacances d’hiver, je craignais qu’il faille tout reprendre du début pour recréer une confiance. Dès la première séance, K. se positionne au même endroit qu’avant. Je mets de la musique (La Tarantella : Antidotum tarantulae) que j’accompagne de battements au djembé. Puis, je fais résonner la cithare, lui propose, mais il refuse. Je la pose alors vers ses mains et il gratte les cordes spontanément quelques secondes. Ce petit geste représente énormément, tant pour lui que pour moi. Il fera de même avec le bracelet maracas en coquillages.

Toujours accompagnée de la musique, je prends une première poignée à grelots et la lui dépose la seconde dans la main. Il la garde et nous commençons à initier un jeu d’imitation à tour de rôle. Je le suis, et inversement durant un long moment (10mn environ). Il semble beaucoup s’amuser. Il y met un terme de lui-même à la fin d’un morceau.

La musique continue, je reprends l’accompagnement au djembé, d’abord seule puis je lui prends la main et la pose sur la peau de l’instrument. Il se met immédiatement à frapper, en rythme. Je l’accompagne au djembé aussi puis avec d’autres instruments et percussions corporelles sur moi-même. Je tiens le djembé et il joue dessus des deux mains, concentré et avec plaisir. Les 30mn sont passées vite. A nouveau, il ne voulait plus partir. L’alliance thérapeutique est née.


La suite de l’accompagnement de K. est constituée de beaucoup de progrès tant au niveau relationnel (échanges de regards, communication de plus en plus fluide bien que toujours non verbale, attention conjointe) que dans l’expression d’une individualité avec la capacité de faire des choix. En effet, K. est maintenant en mesure de choisir l’instrument qu’il veut utiliser à chaque séance si je lui laisse la possibilité de le faire (tant que je n’ai pas posé la question, il attend). Il me le montre du doigt et petit à petit il va de lui-même le chercher.

Au fur et à mesure, K. déploie tout son plaisir à exécuter des rythmes simples sur un tambour, un djembé ou avec une baguette sur le handpan. Cela peut durer la séance entière, soit 30mn. Je l’accompagne en imitation ou en complémentarité (chant, mélodie ou rythmique avec un autre instrument, calquée sur son tempo).

K. garde le sourire en permanence, il semble réellement partager un moment de plaisir et d’expression. Au-delà des sourires, il exprime même des rires étouffés en fonction de ce que je joue.

Je modifie mon instrumentarium de telle sorte qu’il ne s’enferme pas dans la même pratique d’une séance sur l’autre. La dernière semaine, je ne lui ai proposé que des instruments mélodiques. Il est embêté mais choisit tout de même le métallo-note et fait des montées et descentes de gamme en continu.

Mon accompagnement au terme des 6 mois s’est arrêté là. L’évolution de K. est très favorable et les éducateurs s’en aperçoivent également sur le groupe au quotidien. Il est plus apaisé et ouvert sur les activités proposées.


Analyse clinique : la manifestation de l’individualité dans la capacité d’établir un choix

Pour une personne dite “neurotypique” (terme utilisé par la population autiste sans déficience intellectuelle pour caractériser les personnes non-autistes ou n’ayant, plus largement, aucun trouble neurodéveloppemental), la capacité d’opérer un choix se fait spontanément. L’individu s’affirme ainsi et dévoile de manière consciente et inconsciente un élément psychique qui lui est propre. Il est alors possible, dans le cadre d’une thérapie notamment, d’analyser les manifestations de sa personnalité et d’en travailler le contenu.

Pour la personne autiste, la construction du Soi est fragmentée. Cela peut s’expliquer de diverses façons, avec une approche strictement biologique d’abord : les connexions neuronales diffèrent des individus au fonctionnement “normal”, impactant la construction du Soi et par extension la façon d’être émotionnelle au monde. Ces différences neuronales sont visibles en imagerie médicale. Aussi, les causes de l’autisme et/ou du retrait autistique sont complexes et encore mal définies. Certaines théories évoquent des conditions génétiques ou des environnements traumatiques (hospitalisations précoces, rupture d’attachement, carences affectives, maladies somatiques, déficiences sensorielle) permettant d’envisager différents types de troubles autistiques, certains se manifestant très rapidement après la naissance, d’autres étant plus secondaires suite à des évènements traumatiques. Dans tous les cas, les troubles laissent apparaître des mouvements moteurs automatiques (stéréotypies) qui ne peuvent être interrompus sans un état d’angoisse extrême, une “désorganisation anxieuse."

Ainsi, lorsque l’on place une personne autiste face à une situation où un choix de sa part est attendu, la rigidité mentale dans laquelle il se trouve et qui lui permet d’obtenir un relatif état d’apaisement se trouve grandement perturbée.

Dans le cas d’un atelier de musicothérapie comme je l’ai mené auprès de K., nous constatons qu’il a fallu dans un premier temps créer une relation thérapeutique de confiance, dans un cadre secure.



J’ai utilisé la musicothérapie réceptive durant de longues semaines afin de mettre en place ce cadre et observer les manifestations physiques de K.. Si l’on se rapporte à ma grille d’observations, nous voyons que semaine après semaine, à l’écoute de la musique enregistrée et de mes productions musicales personnelles et adressées (chant de son prénom notamment, ou improvisation sur des comptines de son enfance), les indices sur l’état anxieux de K. diminuent et les regards et sourires en ma direction sont de plus en plus soutenus.

Cet apaisement a permis dans un second temps de passer à de la musicothérapie active où l’instrumentarium s’est précisé de séance en séance. La staticité dans laquelle se plaçait K. s’est amoindrie et les premières notions d’individualité sont apparues. Après l’apaisement et l’acceptation de l’Autre (moi, en l'occurrence), la possibilité d’expression de soi est née.

D’abord dans la manifestation du refus. K. donnait son accord ou désaccord aux instruments que je lui proposais par des mouvements de la tête. Attachée à la notion d’identité sonore, je me suis penchée encore davantage sur les informations délivrées par les parents. D’origine algérienne, ces derniers m’ont précisé que K. aimait la musique orientale. C’est dans cette optique de renouer avec ses racines et son environnement familial que j’ai proposé les poignées à grelots comme objets intermédiaires, rythmant une musique à connotation orientale. K. s’en est saisi rapidement, il est entré en action, d’abord dans l’imitation en miroir avec moi puis, en prenant les deux poignées et en continuant la rythmique tout seul. J’ai pu alors l’accompagner avec d’autres instruments en proposant de petits mouvements chorégraphiques, ce qui l’a beaucoup fait sourire et qu’il a tenté d’imiter à son tour.

Durant toute la séance et celles qui ont suivi, la communication s'effectue en miroir, debout, toujours au même endroit de la pièce, créant un espace transitionnel de jeu entre lui et moi, un accordage à l’enjeu clinique.

L’objet intermédiaire permet l’entrée en relation. Il est influencé ici par l’ISo, selon la théorie de R.O. Benenzon dans “La musicothérapie : la part oubliée de la personnalité" - Carrefour des psychothérapies - De Boeck - 2004


Ces instants résonnaient comme des éléments à la reconstruction d’une enveloppe sonore rassurante, venant combler une enveloppe psychique et corporelle morcelée, un Moi-peau carencé. Frances Tustin décrivait les enfants autistes ainsi : “Sans peau ni corps, mais avec une armure qui prétend défendre contre la terreur de se dissoudre et tomber. C’est dans la thérapie qu’on les voit acquérir un corps solide avec une structure interne.”

D’abord dans une imitation totale de mes propositions puis en s’émancipant au fur et à mesure du temps. K. exprimait de plus en plus sa personnalité à travers la notion de choix et de maîtrise du temps de jeu (tout en respectant le cadre spatio-temporel que j’ai établi à l’origine).

D’une rigidité extrême, nous sommes passés à une activité plus intense où K. choisissait réellement son instrument en allant le prendre après que je l’y invite.

Des mouvements rythmiques réguliers et une dynamique régressive pouvait émerger (yeux fermés, léger balancement rappelant la notion de holding, début de rassemblement du corps allant vers une position foetale), allant parfois jusqu’à une décharge par l’intermédiaire du tambourin.


Conclusion

Étape par étape, le travail thérapeutique avec K. s’est installé. La musicothérapie a cette force de laisser la possibilité à l’individu de s’exprimer au-delà de sa pathologie bien qu’elle soit l’objet-même de sa présence en atelier thérapeutique.La médiation n’élude pas, ne supprime pas les troubles autistiques mais elle compose avec afin de faire émerger l’individualité, le sujet.

Selon Didier Anzieu in “Le Moi-peau” de 1985, “la peau est l'enveloppe du corps, tout comme le moi tend à envelopper l'appareil psychique. Les structures et les fonctions de la peau peuvent donc fournir aux psychanalystes et aux psychologues des analogies fécondes pour les guider dans leur réflexion et leur technique.”


Dans les choix que K. a opéré en atelier, il s’est affirmé et a pu dévoiler plus encore de sa personne par ses improvisations rythmiques. Cette notion de choix est particulièrement notable en musicothérapie car elle propose divers objets, en plus de la voix, pour communiquer. L’absence de recherche esthétique, harmonique, mélodieuse, place le patient dans une réelle dynamique d’improvisation, d’entrée en relation par le sonore non-verbal, quel que soit le rendu. Ses choix vont dire quelque chose de sa personnalité, de son individualité.

L’accompagnement a duré 6 mois et les progrès dans l’affirmation de soi sont déjà très prometteurs. Il me semble fort probable que sans l’interruption de cet atelier, K. aurait poursuivi de se dévoiler et il aurait peut-être pu vocaliser et/ou verbaliser quelque chose au terme d’une longue prise en charge.

 
 
 

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© 2025 Sarah Bongiovanni Musicothérapeute-Educatrice 

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