Musicothérapie en milieu carcéral
- sarahbmusicotherap
- 10 juil.
- 4 min de lecture

Séance de musicothérapie en milieu carcéral dans le cadre du Programme de Prévention de la Radicalisation Violente (PPRV) - Centre pénitentiaire de Metz Queuleu
Décembre 2022
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Sous l'impulsion de la psychologue et du SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation), le PPRV 2022 s'est articulé autour des arts, de la création et de l'expression de soi. Les ateliers se déroulent chaque lundi matin durant deux mois et demis. Les participants sont tous volontaires et se sont engagés à suivre la totalité du programme.
Art-thérapie, hip-hop, débats, ... et musicothérapie.
Une matinée.
Quelle proposition faire pour une première approche de près de 3h face à une dizaine de détenus ? Ces hommes sont en rupture, face à une déchirure émotionnelle complexe où la violence se présente comme la seule réponse possible aux stimuli extérieurs.
Qu'importe les actes commis, la musicothérapie s'intéresse au sujet dans sa complexité et son entièreté. Elle vient toucher toutes les sphères du sensible, là où présentement, l'expression de l'émotion est réduite à l'action violente.
J'ai proposé une intervention en deux parties. Je les évoque et annonce le cadre de cette matinée.
Dans un premier temps, l'idée était de créer la rencontre et d'exprimer son individualité par le non-verbal.
Pour rompre avec l'immobilité des ateliers précédents, j'ai invité les participants à pousser les tables contre les murs et à se déplacer dans la pièce au son des percussions africaines. Une fois la musique terminée, chacun s'est immédiatement assis le long du mur en reprenant leur place initiale. Les membres du personnel pénitentiaire (une personne du SPIP, un gardien et un éducateur spécialisé) ont spontanément fait en sorte de clore le rectangle que les détenus formaient pour avoir un semblant de cercle et pour que tout le monde puisse se voir. Je me suis positionnée en ce sens également.
J'ai proposé à chacun de prendre l'instrument de leur choix ou leur voix et de l'utiliser afin de se présenter, non pas en donnant son prénom mais par un son ou une mélodie. Des rires sont apparus, de nombreux mécanismes de défense ont émergé.
Je les ai ensuite invité à adresser un message à quelqu'un de leur choix, en s'approchant et en le regardant. L'exercice est devenu réellement compliqué pour eux. Certains n'ont pas réellement joué le jeu, trop intimidés et surpris par la consigne.
L'un deux, sur le ton de la plaisanterie annonce "ça fait du bien de communiquer hein !". Je saisis cette remarque que j'interprète comme un besoin de verbalisation pour les inviter à choisir un instrument, lui donner un nom et en raconter son histoire.
Le silence s'installe alors, personne n'ose commencer, j'initie la démarche.
Cette fois, seulement trois participants (en dehors du personnel) se laisse aller à la créativité. Les autres essaient de se justifier en disant qu'ils n'ont pas d'idée, qu'ils préfèrent utiliser l'instrument pour sa valeur musicale etc. La fonction symbolique et l'imaginaire sont entravés, on ressent un certain malaise à trop livrer de soi. Cependant, ils ont tous un instrument dans leur main et chacun le fait résonner pour lui-même jusqu'à ce que, petit à petit, un accordage groupal se mette en place.
Un rythme naît, tout le monde apporte sa contribution. Quelques dynamiques régressives et de décharges apparaissent. Le derbouka, objet intermédiaire devient intégrateur et les instruments passent de main en main. On lit un plaisir certain sur les visages de la plupart des participants.
Puis, le rythme s'essouffle et tout s'arrête.
Je leur propose alors de reposer les instruments et de s'installer confortablement pour écouter une musique apaisante. On éteint les lumières, chacun s'installe, certains ferment les yeux, personne ne parle, la cadre annoncé est respecté et mes demandes sont prises avec beaucoup de sérieux.
Je laisse ensuite place à une verbalisation. La séance a globalement été très appréciée et ils confirment tous l'aspect incongru de la médiation. Ils expliquent qu'ils ne s'attendaient pas à cela et nient la gêne qu'ils ont ressenti. Le groupe se connaît depuis plusieurs semaines pourtant mais mes propositions allaient au-delà de leurs capacités à se dévoiler. Le poids du regard de l'autre, la possibilité de s'affirmer comme sujet et non comme détenu sont autant d'entraves à la libération de l'individualité.
Dans un second temps, après une pause, je leur demande de s'installer à une table ou au sol, de prendre des feuilles et du matériel de dessin et je diffuse 30 mn de musique de styles différents, sans interruption. Je leur explique qu'il faut éviter de parler, qu'un temps sera consacré à cela après, et qu'ils peuvent exprimer sur papier tout ce qu'ils ressentent à l'écoute des différents morceaux(textes, dessins).
Une fois encore, certains se prêtent au jeu plus que d'autres mais le cadre est entièrement respecté.
A la fin, je leur propose d'évoquer leur production s'ils le souhaitent. Tous les participants parleront de ce qu'ils ont ressenti et expliqueront le contenu de leur(s) feuille(s).
J'amène enfin un temps de verbalisation final sur l'ensemble de la matinée. Les retours sont intéressants, du même ordre que ceux évoqués à la fin de la première partie. La satisfaction est générale.
J'ai revu le personnel pénitentiaire ainsi que les détenus quelques semaines plus tard pour une petite exposition des différentes productions réalisées durant le PPRV. La plupart seraient prêts à revivre des séances de musicothérapie. D'autres m'ont remercié d'avoir pu toucher des instruments et d'en avoir ressenti la vibration acoustique, tellement différente de la musique enregistrée.
La musicothérapie en milieu pénitentiaire a toute sa place. Elle replace les individus en tant qu'êtres humains, sujets pensants, doués de ressentis et d'émotions multiples. Elle laisse place à la rencontre et à la (re)découverte de soi-même et de l'autre. Elle propose un mode d'expression canalisant et vecteur d'une ouverture à l'affect, à l'acceptation et à l'extériorisation subjective. La liberté perdue du détenu peut se trouver dans la création et l'imaginaire et dans l'évasion sonore. Elle peut engendrer une réflexion personnelle et groupale sur les questions existentielles et philosophiques que portent ces individus dont les barreaux sont souvent, avant tout, formés de conflits psychiques et d'idées profondément manichéennes.
Cette première approche est pertinente et conforte mon désir de travailler la musicothérapie clinique dans ce type de structure, souvent oubliée, où l'individu détenu peut se trouver réduit à sa condition.
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